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Quand une start-up, une PME ou même une scale-up envisage d’ouvrir son capital, la question de la valorisation immédiate et future des titres apparaît très vite : c’est précisément là qu’entre en jeu la prime d’émission, instrument souple mais technique qui influence dilution, fiscalité et gouvernance.
Le principe est simple à énoncer : émettre de nouvelles actions au-dessus de leur valeur nominale permet d’injecter des capitaux sans bouleverser l’équilibre juridique préexistant. Encore faut-il comprendre les ressorts comptables, fiscaux et financiers qui expliquent pourquoi la majorité des levées de fonds en France comportent une prime plus ou moins importante.
Tout au long de cet article, nous allons détailler le cadre légal, la logique économique, les méthodes de calcul, les impacts pratiques et les questions récurrentes que nos clients nous posent lorsque nous structurons une opération. N’hésitez pas à consulter nos forfaits d’accompagnement dédiés.
Prime d’émission : définition juridique et grands principes
Le Code de commerce ne définit pas la prime d’émission de manière autonome, mais son existence découle des articles L225-129 et suivants relatifs aux augmentations de capital. Concrètement, chaque action créée possède une valeur nominale fixée par les statuts ; lorsque l’investisseur paie un prix supérieur, la différence constitue la prime et est comptabilisée dans un compte de capitaux propres distinct du capital social.
Pourquoi un tel mécanisme ? Tout d’abord pour éviter un effet mécanique de dilution excessive des anciens associés. En affectant la prime au poste « primes », on augmente les fonds propres sans augmenter le nombre d’actions au même rythme que si l’on avait fixé un nominal artificiellement élevé.
Ensuite, la prime facilite la flexibilité de la gouvernance future. Les montants logés dans ce compte pourront être imputés sur d’éventuelles pertes, distribués en dividendes ou capitalisés ultérieurement, sous réserve des règles d’affectation et de distribution prévues par l’article L232-12 du même code.
Enfin, la prime est perçue par l’administration fiscale comme un apport assimilé au capital. À ce titre, son enregistrement au greffe ne déclenche pas de droits d’enregistrement spécifiques, ce qui constitue un avantage compétitif vis-à-vis d’autres modes de financement.
Quand recourir à une émission avec prime ?
Les sociétés cotées la pratiquent depuis des décennies, mais les start-ups ont largement démocratisé l’usage de la prime d’émission pour quatre situations typiques : la pré-seed où la valorisation est spéculative, la serie A où l’arrivée d’institutionnels impose un prix plus élevé, la mise en place de BSPCE impliquant un « floating » de capital, et le bridge convertible qui anticipe une prime appelée à se transformer en capitalisation future.
Illustrons avec un cas réel. La société Alpha, SaaS B2B en phase de traction, a 10 000 actions de 1 € chacune. Les investisseurs souhaitent entrer à 5 € par titre. Plutôt que de modifier le nominal, la société émet 2 500 actions nouvelles : le capital social augmente de 2 500 € tandis que 10 000 € sont inscrits en prime. Ainsi, la dilution pour les fondateurs est limitée, les fonds propres augmentent de 12 500 € et la valeur post-money reflète mieux la traction commerciale.
Dans la pratique, on constate que la prime d’émission est d’autant plus élevée que la société a déjà prouvé son product-market fit. Pour une deep-tech en amorçage, la prime peut être modeste, voire nulle, car la prise de risque est extrême. À l’inverse, une FinTech régulée avec un taux de churn très bas justifiera un multiple de chiffre d’affaires nettement supérieur à la valeur nominale.
En complément, il existe des cas où la prime est quasi obligatoire : fusion-absorption, conversion de comptes courants d’associés, exercice de BSA-ratchet, ou recapitalisation après pertes importantes. Dans ces hypothèses, la prime protège l’entreprise contre la reconstitution obligatoire du capital en renforçant de manière rapide la structure financière.
Fonctions économiques et fiscales d’une prime
L’intérêt premier réside dans la modulation de la dilution. Si l’on émet 1 000 actions avec un nominal à 1 € et une prime de 9 €, seuls 1 000 titres supplémentaires sont créés, mais 10 000 € sont collectés ; avec une valeur nominale à 1 € sans prime, il faudrait 10 000 actions pour lever la même somme : les pourcentages de détention s’en trouvent radicalement modifiés.
Sur le terrain fiscal, la prime d’émission bénéficie d’un régime neutre à l’entrée : pas de TVA, pas de droits proportionnels. En revanche, lors de la distribution future d’une partie de la prime aux actionnaires, l’article 112-1 ° du CGI assimile ce versement à un dividende, sauf disposition contraire. Il convient donc de tenir une comptabilité analytique distinguant prime libérable et prime distribuable.
Côté IFRS, la prime figure en capitaux propres sur la ligne « additional paid-in capital ». Ce classement améliore les ratios d’endettement (gearing) et les covenants bancaires. Dans un contexte de due diligence, les investisseurs seront particulièrement attentifs à la cohérence entre cap table, statuts et mouvement de prime.
Par ailleurs, la prime sert souvent de « coussin » pour financer les frais d’émission : honoraires, commissions, rédaction d’un pacte d’actionnaires, publication légale. L’article L225-147 autorise l’imputation de ces frais sur la prime à condition que l’assemblée générale le décide explicitement.
Calculer la prime pas à pas
Avant tout calcul, il faut déterminer la valorisation pré-money. Quatre méthodes principales sont utilisées dans la tech française : le multiple de MRR, la méthode des comparables boursiers, le discounted cash-flow (DCF) et la méthode Berkus adaptée au numérique. Chacune donne une fourchette qu’il convient ensuite de confronter au marché.
Supposons une pré-money de 8 M€ et un capital existant de 100 000 actions à 0,10 € de nominal. L’investisseur souhaite injecter 2 M€ pour 20 % du capital post-money. On résout l’équation 2 M€ / 20 % = 10 M€ post-money, soit une création de 2 M€ de valeur sur 25 % de nouvelles actions (20 % pour l’investisseur, 5 % pour le pool d’options). La prime d’émission est alors calibrée pour que chaque action émise vaille 10 M€/125 000 = 80 €. Le nominal étant 0,10 €, la prime par action est de 79,90 €.
Checklist des données à collecter
- Nombre d’actions existantes et nominal statutaire
- Valorisation pré-money validée par le board
- Montant recherché et % cible pour la tranche
- Schéma de pool et réserves de BSPCE
- Capital autorisé restant avant modification statutaire
- Frais d’émission estimés
- Hypothèses de dilution future (series suivantes)
Une fois ces éléments en main, on établit la table de capitalisation projetée, puis l’on calcule le prix d’émission. Le logiciel Cap-table ou un simple tableur fait l’affaire, mais un expert-comptable doit valider la cohérence avec les normes CRC 99-02.
Pour la valorisation DCF, on actualise les flux de trésorerie libres sur cinq ans, puis on applique un taux d’actualisation tenant compte du risque (WACC). Le montant actualisé est divisé par le nombre d’actions fully diluted ; on compare ensuite au prix de marché pour ajuster la prime.
Étapes juridiques d’une émission avec prime
1. Rapport du conseil d’administration ou de la gérance expliquant la nécessité de l’opération et la justification de la prime.
2. Rapport spécial du commissaire aux apports lorsque l’émission se fait avec apport en nature ou au-dessus de 50 % du capital.
3. Décision de l’assemblée générale extraordinaire qui délègue ou décide l’augmentation.
4. Signature du bulletin de souscription et libération des fonds (au moins 25 % du nominal, 100 % de la prime).
5. Dépôt au greffe du procès-verbal et mise à jour des statuts.
6. Publication dans un journal d’annonces légales et au BODACC.
Le législateur exige que la prime soit libérée intégralement dès la souscription, alors que le capital peut être libéré en plusieurs fois. Ce décalage illustre l’idée que la prime renforce immédiatement les capitaux propres.
À noter que le dépôt auprès du service des impôts doit intervenir dans le délai d’un mois, accompagné du formulaire M2 et de l’état des souscripteurs. Les greffes imposent aussi de produire la liste des bénéficiaires effectifs mise à jour.
Pour approfondir, on pourra consulter l’article L225-134 du Code de commerce disponible sur Legifrance.
Conséquences comptables et fiscaux
Comptablement, la prime d’émission est portée au compte 104100. Lorsqu’une partie est affectée aux frais d’augmentation, on crédite le compte 101 et débite le compte 627 (ou 635 pour droits). Les commissaires aux comptes vérifient la correcte imputation.
Fiscalement, la prime contribue au capital social pour le calcul des plafonds de déductibilité des intérêts d’emprunt (article 212, CGI). En cas de distribution, elle suit le régime de dividendes. Les sociétés soumises à l’IS peuvent, via le mécanisme du « rachat suivi d’annulation », restituer la prime à certains actionnaires dans un cadre de cash-out partiel, sous réserve d’un rescrit pour sécuriser le traitement.
Pour les personnes physiques, la distribution de prime est soumise au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % ou, sur option, à l’imposition au barème avec abattement de 40 % pour les titres détenus depuis plus de deux ans.
Notons enfin que l’administration fiscale peut requalifier une prime anormalement basse en revenu distribué si elle estime que la valorisation est sous-évaluée. D’où l’importance de conserver toutes les pièces justificatives du calcul, notamment les rapports d’expertise.
Exemples chiffrés : trois cas typiques
Cas 1 : amorçage
SAS Beta, 100 actions à 10 € de nominal. Valorisation pré-money 500 k€, levée 200 k€. Les investisseurs veulent 28 % post-money. Calcul : 500 k€ + 200 k€ = 700 k€ post, soit 28 % = 196 k€. Le prix par action post = 700 k€ / 100 actions = 7 k€ ! Pour faciliter, on émet 28 actions nouvelles. Nouveau nominal inchangé (10 €), prime par titre 6 990 €. La prime d’émission totalise 195 720 €.
Cas 2 : série A
SARL Gamma, 500 000 parts à 1 €. Pré-money 20 M€. Levée 5 M€ (20 %). Prix part = 25 €. Prime par part = 24 €. Prime totale 4,8 M€.
Cas 3 : bridge convertible
SAS Delta émet un BSA-AIR. Valorisation plafond 40 M€. Décote 20 %. Note convertie 4 M€. Au closing de la série B, la valeur post-money est fixée à 50 M€. Le prix d’émission est donc 40 M€ (50 M€ * 80 %). Actions créées calculées, on isole une prime d’émission représentant 95 % du paiement.
Outils pour sécuriser le calcul
1. Tableur dédié : onglets cap table, valorisation, prime par tranche.
2. Plateformes equity management pour générer bulletins de souscription.
3. Logiciel comptable compatible FEC pour ventiler nominal et prime.
4. Checklist due diligence partagée avec investisseurs.
5. Modèle de procès-verbal mentionnant la prime ligne par ligne.
La digitalisation permet de produire un registre numérique certifié, opposable et accepté par la plupart des greffes. Ce gain de temps réduit les frais imputés sur la prime d’émission.
Questions fréquentes
La prime peut-elle être négative ?
Non. Le principe d’égalité entre actionnaires interdit d’émettre à un prix inférieur à la valeur nominale (article L225-14). En pratique, on parlerait alors de décote qui mettrait en péril les intérêts de la société.
Peut-on distribuer la prime sans impôt ?
Seules les primes de fusion peuvent, dans des montages transfrontaliers, bénéficier d’un régime de neutralité, sinon la distribution est assimilée à un dividende.
Faut-il un commissaire aux comptes ?
Obligatoire si la société en est déjà dotée ou si des apports en nature sont réalisés. Dans les petites SAS / SARL sans CAC, un rapport d’expertise indépendante reste vivement conseillé.
La prime sert-elle au calcul du nominal dans les BSPCE ?
Non, le prix d’exercice des BSPCE est fixé librement mais doit être au moins égal à la valeur nominale, souvent majorée de la prime d’émission attachée au dernier tour pour éviter une requalification fiscale.
Bonnes pratiques à retenir
- Anticiper la dilution globale sur trois tours en projetant la prime d’émission dès l’amorçage.
- Regrouper les frais d’émission et décider formellement de leur imputation sur la prime.
- Communiquer la méthode de valorisation aux salariés détenteurs de BSPCE pour aligner les attentes.
- Négocier un pacte d’actionnaires prévoyant la réaffectation éventuelle de la prime en cas de conversion d’obligations convertibles.
- Préparer un memo fiscal pour encadrer la distribution future de la prime.
Conclusion : un levier stratégique
Bien maîtrisée, la prime d’émission devient un outil de gouvernance autant qu’un levier financier. Elle permet de calibrer chaque levée de fonds, de consolider les capitaux propres et de ménager la dilution tout en bénéficiant d’un régime comptable et fiscal relativement neutre. C’est pourquoi nous recommandons de l’intégrer dès la rédaction des statuts et de la modéliser à chaque tour. Pour transformer votre prochaine augmentation de capital en succès, entourez-vous d’experts aguerris au sujet : avocats, experts-comptables et banquiers d’affaires parleront tous le même langage grâce à une prime d’émission correctement calculée.
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